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Blogues // Création virale

La vieille louve - Poème de François Tanguay

Tous les artistes qui le veulent bien - 9 oct. 2020


François Tanguay est né à La Sarre, en 1993. Il a passé sa prime jeunesse à St-vital-de-Clermont et à Amos. De ces années, il conserve une multitude de souvenirs très agréables. Il demeure maintenant à Trois-Rivières, mais revient régulièrement dans la région pour rendre visite aux membres de sa famille. Il garde un profond attachement envers la région. 

 

À l’automne 2019, après un long séjour dans l'Arctique canadien, il a ressenti le vif besoin d’écrire au sujet de la région pour se sentir plus proche d'elle et exprimer sa reconnaissance envers son héritage. Il partage avec nous son poème La vieille louve. 

 

Y’a une terre où y fait assez frette en hiver pour que s’y gèle le temps

On la nomme Abitibi, nom gossé à même les épinettes noires pis les lacs de glaise

Plantée d’l’autre bord du grand La Vérendrye, elle se campe en retrait

Fidèle à elle-même, comme une vieille louve.

 

Des premières gelées jusqu’aux floraisons de mai

Les gens s’y chauffent de tremble pis d’bouleau

Quand l’Abitibi s’attrique de neige pis d’glace

L’haleine de nos poêles vient lui frôler le ventre

Puis s’amorce « l’hiver dans l’hiver »

On s’obstine pis on tient l’fort

On prend l’vent du nord à bras l’corps

 

Quand l’hiver tempère enfin, on s’élance sur les lacs blancs

L’attirail de pêche fin prêt, la cabane attelée sua motoneige

Enwoye! Quelqu’coups d’tarière dans la croûte du lac

Les brimbales à l’eau pis c’pas long qu’le brochet mord 

En famille, entre amis, c’est comme ça en Abitibi!

 

En mai, les lacs calent pis l’Abitibi escoue sa neige

Tout s’ravigote sul territoire pis les arbres boivent la terre

L’doré vient frayer sur les rivages dès l’retrait des bordages

Pis l’carouge r’trouve les joncs des rivières qui s’attardent sous les ponts

L’Harricana s’gonfle d’orgueil pis abreuve l’Eeyou Istchee, telle une mère.

 

 

En Août, l’été vient y offrir ses plus douces caresses

On prend nos casseaux pis on va aux bleuets dins brûlis

L’soir venu, l’hirondelle rentre chez elle pour laisser l’silence se vautrer

Dans des senteurs de lac pis d’terre trempée

Y’a rien d’mieux pour s’reposer l’esprit, c’est moé qui vous l’dis!

 

Vient l’temps où l’Abitibi s’effeuille, prélude des chasses généreuses

On prend les rangs qui mènent aux confins du monde

Pour s’enfoncer dans c’qui a d’plus sauvage

Dins sous-bois, la gelée s’effrite sous nos semelles

On fait une attisée dans l’camp

En rêvassant d’la « bête lumineuse1 » pour laquelle on s’ingénie.

 

C’est dins branchages d’l’Abitibi que viennent s’jouquer les aurores boréales du Grand Nord

Aux mêmes branches, on y débusque des mots

Qui, une fois aboutés, nous parlent d’hommes pis d’femmes enracinés

Les choses qui s’perdent ailleurs, icitte nous sautent aux yeux

La Vieille Louve a une sagesse primitive, pis on en fait grand cas!

 

L’Abitibi c’t’un pays encore neuf

Avec des pousses de rêve pis d’espoir dans ses labours

Comme des rémanences de l’ardeur des pionniers pis des pionnières

Qui ont vécu l’arrachement

Pis qui se sont mesurés à une Terra Incognita

Pour s’appartenir pour de bon!

 

Nos aïeux ont rêvé l’Abitibi

Nos aïeux ont sué l’Abitibi

Nos aïeux ont aimé l’Abitibi 

Nos aïeux reposent au cœur d’l’Abitibi

Nos aïeux nous ont légué l’Abitibi!

 

Être Abitibien, c’t’un mode de vie

L’Abitibi nous sort jamais vraiment du corps

Être Abitibien, c’est d’incarner la Vieille Louve.

 

1. Perrault, Pierre, La bête lumineuse (ONF, 127 minutes 18 secondes, 1982)


L'opinion émise dans ce billet n'engage que son auteur et ne représente pas nécessairement celle du journal L’Indice Bohémien.

 

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